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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/297

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parmi des jardins inconnus. Ils redescendaient graves et émus, ne trouvant pas un mot digne de l’heure qu’ils traversaient, de secrètes intelligences établies entre eux, leur tenant lieu d’ailleurs de tout propos. Ils semblaient avoir acquis, du fait de ce don purement spirituel un droit de propriété l’un sur l’autre. Marceline, emportée dans la marche en descente, regardait à la dérobée son ami, son Jean, elle en était fière : il était à souhait pour une femme de son espèce, beau, mélancolique et immatérialisé. Elle sondait ce front ombreux, où vibrait cette intelligence très chère, elle se disait : « Tout ce qui brûle, et pense, et vit là est à moi. » Elle jouissait.

Soudain, une pensée l’angoissa. Ce fut en regardant toujours ce front qui attirait ses yeux, dont elle avait besoin, un besoin passionné, de découvrir les secrets. Elle se dit : « Je sais ce qui s’y passe actuellement ; mais ce qui s’y est passé ! ce qu’il a pensé, voulu, désiré, savouré ou souffert dans ces années où je ne l’ai pas connu ?… »

Ils se quittèrent loin de sa maison, pour qu’on ne les vit pas ensemble, à cette heure, dans la rue. Ce qu’il y avait de clandestin dans ces précautions obligées offensa Marceline. Elle avait une fierté de vie qui répugnait à ces petitesses, qui les condamnait dans les autres. Elle ne s’était jamais cachée de rien. Elle comprit que quelque chose changeait en elle et en fut humiliée.

— Comme je ne suis plus la même ! pensat-elle.

La nuit une sorte de fièvre la tint éveillée. Elle pensait à cet inconnu de la vie de Jean qu’il ne