Page:Yver - Les Cervelines.djvu/318

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l’ami, le frère de tous les malheureux. Elle sentait bien là un cœur évangélique, débordant de la vraie charité, celle qui est tendresse plutôt que conseil. Elle n’avait plus besoin de conseil, ce qu’elle cherchait, c’était Dieu ; et c’était déjà comme un peu de divinité qu’elle respirait auprès de ce vieil homme vulgaire et sans usage, qui n’avait pas encore su lui dire une phrase depuis qu’il était arrivé. Elle comprit qu’elle pouvait lui confier sa dernière angoisse, qu’il en souffrirait avec elle.

— Si vous saviez comme je regrette la vie !

— Ma pauvre petite enfant, reprit-il, pleurant presque, le Sauveur l’a bien regrettée, Lui ; comment ne la regretteriez-vous pas !

— Est-ce bien sûr, dit-elle encore plus bas, avouant ici le sens intime de sa terreur, est-ce bien sûr que tout ne va pas finir pour moi, que je revivrai, que je serai encore moi dans cet invisible…

Si c’est sûr, ma fille ! fit-il moins naïf que puissant dans sa foi, mais alors, pourquoi seriez-vous en vie en ce moment, et moi, pourquoi le serais-je, et pourquoi y aurait-il un monde, et pourquoi souffririez-vous ?

Elle ajouta, osant à peine le prononcer devant ce saint :

— Et… si je n’allais pas trouver Dieu dans ce noir où je vais ?

Il prit les osselets longs de sa main de morte dans la sienne où elle disparut, et il lui dit en la regardant en face :

— Alors quoi ? quoi ?… le sens de tout…

Il n’en dit pas davantage ; quelque chose de