Page:Yver - Les Cervelines.djvu/321

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la mesure où ils se versent l’un dans l’autre, au point qu’il faut chercher le Christ dans l’Église et l’Eglise dans le Christ, dans cette mesure on doit aimer. L’amour est bien grand, ma fille, mais la jouissance est bien petite ; regrettez toute jouissance, regrettez de vous être aimée dans l’amour. L’amour est éternel, c’est la jouissance qui est courte. L’égoïsme est la loi du monde ; il lui donne quelquefois le nom d’amour ; alors il se passe des choses… Mon enfant, l’amour est bien rare ; je crois que vous avez aimé véritablement ce jeune homme…

— Je le crois aussi, mon père, dit Henriette les yeux clos.

Et mentalement elle ajouta, dans une joie pure qui était celle de cet amour idéal, de l’amour souverain, pur et absolu, cette prière :

— J’offre ma vie pour Jean.

De cette minute, elle cessa moins que jamais de penser à lui, avec cette conviction secrète qu’à cause de sa mort il serait heureux un jour près d’une autre femme.

Telle fut cette nuit-là, dans la chambre d’Henriette mourante, la leçon de l’amour.

Le lendemain, elle fut mieux. Paul vit en elle comme un bonheur secret ; il l’attribua à ces illusions qui, chez les poitrinaires, s’illuminent davantage à mesure qu’ils avancent vers le terme de leur maladie. Il était près d’elle, car il la quittait maintenant à peine, se faisant remplacer à l’hôpital et dans sa clientèle. Elle avait une sorte de gaîté qui était sur sa douleur un baume. Soudain, la porte s’ouvrit et la femme de chambre introduisit Jeanne Bœrk qui entra à pas glissés.