Page:Yver - Les Cervelines.djvu/322

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Tisserel rougit et se troubla. Il ne l’aimait plus et elle l’intimidait encore. Elle conservait avec lui trop d’aisance, trop de tranquillité, et quand il sentit se poser, calmes et francs dans les siens, ses yeux qui l’avaient vu pleurer d’amour et de désespoir, il détourna la tête. C’était une étrangère qui connaissait de lui des secrets intimes ; une indifférente qui pénétrait dans son âme. Son sourire, qui l’avait tant séduit autrefois, n’avait pas changé ; elle vint à lui, ses belles dents saines découvertes, lui tendit la main sans nulle gêne, puis s’avança doucement vers le lit d’Henriette.

— Cela ne va pas mal, n’est-ce pas, mademoiselle ?

Henriette la regarda longuement, tristement, puis, pour ne faire à son frère aucune peine, elle répondit :

— Pas mal ce matin, en effet.

Elle était méconnaissable, et Jeanne Bork cherchait à se rappeler devant ce cadavre la jolie et fraîche créature qui avait été en ce lit autrefois. Elle fut prise d’une véritable peine ; si habituée qu’elle fût à l’œuvre de la mort, elle éprouvait ici quelque chose de nouveau ; elle aimait Henriette ; et quand Tisserel ne parlait plus d’amour, elle avait pour lui un bon sentiment de camaraderie qui s’affligeait de son chagrin. Toutes ces impressions la prirent si fort et si au dépourvu qu’elle ne trouvait plus rien à dire.

Leur silence fut long ; Paul songeait maintenant que perdre Jeanne était peu de chose quand il allait perdre Henriette, et sans se l’énoncer absolument, car il n’avait plus que des idées