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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/38

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« Vous savez que vous avez tout à fait conquis Pierre Fifre, et qu’elle veut absolument vous avoir à dîner ce soir avec moi. » Il lui sembla qu’on le prenait par les épaules et qu’on le jetait tout vivant dans le Paradis. Jamais rien ne lui avait donné de soi cet orgueil ; ni ses lauriers au collège, ni ses examens de fin d’année où il obtenait toujours des notes rares, ni ses succès d’étudiant joli garçon parmi les femmes, parce que jamais rien n’avait été si imprévu, si mornement désiré et inaccessible en même temps. Il lui avait plut Elle le demandait ! Alors il pouvait ouvrir grandes les écluses à ce flot de passion qu’il s’étouffait à repousser depuis des semaines ; alors il la reverrait !

Le mois finissait et il y avait dépensé son trimestre. Il alla chez une fleuriste du boulevard pour commander des roses, mais on lui refusa le crédit. Il courut chez : un changeur. Il vendit sa montre on lui en donna un louis ; il ajouta son épingle, les boutons de sa chemise il eut un autre louis. Mais ce bouquet qu’il voulait devait être une folie ; quelque chose d’outré, de démesuré, qui parlât. Il revint à l’internat ; il proposa sa trousse à son voisin de chambre qui en cherchait une d’occasion ; puis, n’ayant pas réussi, il grimpa sur sa table, prit sur la planche de sapin de sa bibliothèque les trois derniers livres de Ponard qu’il venait d’acheter, trois in-4° cartonnés escargot-vert ; il courut l’hôpital pour les offrir à qui les voudrait et en eut cinquante francs. Il était six heures. Il garda cinq francs pour son cocher et mit le reste dans les fleurs.

— C’est cher, se dit-il, mais cela m’évitera de