Page:Yver - Les Cervelines.djvu/44

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va des pauvres dans les maisons « où l’on donne ».

Cela se savait. Quand Cécile connut cette bonté touchante de son amie, il se sentit étouffé de bonheur, et se mit à l’en chérir plus fort. Il n’avait jamais vu de femmes ressemblant à celle-là, et elle éveillait en lui, qui ne connaissait que les amours vulgaires, une nouvelle et douce façon d’aimer. Il l’avait d’abord crue coquette, éprise d’elle, parant son corps avec raffinement, avec religion, avec volupté. Mais à revoir si souvent, pendant la même saison, la robe rouge qui l’avait un peu choqué la première fois, portée toujours avec la même indifférence, la même simplicité, surtout à l’examiner dans tous ses gestes, dans ses poses, à scruter ses intentions, il finit par formuler cette conclusion que, « chez elle, le désir de plaire était descendu au minimum qu’il peut atteindre chez une femme ». Cependant, depuis un an qu’il la connaissait, l’aimant au point de n’avoir plus souci de rien au monde, ayant oublié ses amis, ses plaisirs, ses études pour elle, vivant jour et nuit pour la demi-heure qu’il allait passer le soir dans le petit salon de la rue Pépinière, deux ou trois fois la semaine, il ne lui en avait jamais fait l’aveu. Il s’était réglé en cela sur la manière dont la traitaient les autres hommes, demi-camarades, demi-cérémonieux, jamais galants. Sa timidité le martyrisait, mais demeurait plus forte que tout.

Pourtant il se sentait préféré aux autres ; il devenait facilement pour elle un confident. Elle le tenait au courant de ses mécomptes, de ses délicates souffrances d’artiste, de ses lassitudes, de ses cruelles intermittences de talent ; souvent,