Page:Yver - Les Cervelines.djvu/50

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son sentiment ressemblait aux autres, combien il le dépassait ; et il cherchait une expression littéraire qui la touchât, et qu’il ne trouva pas.

On restait chez elle peu de temps à table ; ils repassèrent de bonne heure au petit salon tendu de perses blanchâtres. Elle lui parla de sa lettre. Ils étaient assis à une table basse, et leurs visages restaient dans l’ombre de l’abat-jour jaune qu’ils dominaient. En pleine lumière, ses mains potelées, d’un blanc ivoirin, brassaient de vieilles photographies qu’elle triait. Elle disait :

Vous avez une volonté intermittente, tour à tour ferme et chancelante ; c’est ce qui ressort de votre forme d’écriture. Votre réflexion n’atteint pas non plus le fond des choses, ce qui ne veut pas dire que vous soyez irréfléchi. Vos S sont étonnants ; très rare aussi, la boucle de vos majuscules. En somme, cela confirme tout ce que j’avais conçu de votre caractère, sauf pour ce qui est de la sensibilité, que je croyais moindre.

Oh ! sa lettre, sa pauvre lettre ! Ce morceau de lui-même ! Avait-il donc frémi si peu entre ses doigts qu’elle n’y eût cherché qu’un examen graphologique, la curieuse ! Elle était férue de graphologie depuis quelque temps ; elle voyait dans cet art un outil pour forcer les sanctuaires secrets des âmes et l’avait saisi avidement.

Cécile reprit avec colère :

— Si vous aviez pu comprendre véritablement ce que je ressens pour vous, vous n’en auriez pas décidé si légèrement ; mon amour ne ressemble à aucun autre.

— Mon mari m’a dit cela aussi autrefois, répondit-elle en souriant, tout en continuant à classer