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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/51

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ses instantanés, et sans regarder le jeune homme.

— Et vous l’avez aimé, lui ?

Son regard la fascina si fort qu’elle se tourna vers lui.

— J’avais vingt ans, dit-elle, j’avais le droit de le croire, d’autant plus qu’il était sincère, comme vous l’êtes, mon pauvre ami ! Huit ans après, quand nous avons été… déchaînés par la Loi, j’ai connu, je puis bien vous le dire, une ivresse de liberté et de contentement que nulle ivresse ne peut certes égaler. Vous me comprenez : l’enchantement de mes vingt-huit ans libres a été plus : savoureux que celui de mes vingt ans amoureux. Voilà pourquoi je vous disais tout à l’heure l’amitié que je vous offre vaut plus que ce que vous me demandez. Et je trouve qu’il serait dommage de compromettre cette chose durable, capable de nous procurer à l’un et à l’autre tant de douces heures dans la vie, — car je vous classe dans la catégorie des amis de toujours, — il serait dommage de compromettre cette liaison pour une autre qui finirait mal ; c’est l’éternelle histoire, vous savez !

Cécile eut envie de se récrier ; ce n’était pas une liaison transitoire qu’il voulait ; elle se méprenait ; c’était sa vie dévouée tout entière, c’était l’union éternelle que la mort peut seule rompre, c’était le mariage tel que les parents de Cécile et toute son ascendance bourgeoise l’avaient connu et pratiqué depuis des siècles. Mais il conçut aussitôt l’idée de son infériorité sociale vis-à-vis de cette femme célèbre, et il se tut, humilié, vaincu. « Son amitié, oui, c’est cela, son amitié, » se dit-il.

La lutte se poursuivit pendant une année. Le docteur Ponard fut mis dans la confidence et fit