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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/66

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jamais ; devant cette paysanne fortement, lettrée qui rappelait les bières bues en Flandre, et dont les doigts de carabin, fumés sous l’ongle, fleuraient la cigarette. Elle le regardait hardiment, de ses yeux limpides et froids qui avaient vu tant de choses, tant de carnages secrets dans la chair morte, tant d’œuvres du fer dans la chair vivante, tant de nudités répugnantes, tant de sang, tant d’horreurs. Elle intimidait : Cécile avec ces yeux indifférents et superbement intelligents tout à la fois. Il lui fit un compliment sur la réputation qu’elle avait déjà dans le monde médical, ici.

— Oh je ne fais rien d’extraordinaire, reprit-elle, j’aime mon métier, tout simplement.

— Et ce métier ne vous a pas semblé trop pénible ?

— Pénible ? demanda-t-elle, ouvrant les lèvres et les yeux étonnés.

— Pénible, oui, mademoiselle ; il n’est pas le fait d’une femme de voir souffrir, voir mourir, vaincre l’impressionnabilité élémentaire ; c’est très dur au début, même pour un homme.

— Dieu merci, fit-elle en riant de bon cœur, je ne suis pas de celles qui s’évanouissent en voyant du sang.

Et, véritablement, elle était très séduisante à rire ainsi. Ses deux mains aux hanches serrant autour de la taille les fronces de sa blouse, elle ressemblait aussi bien à un bel adolescent qu’à une femme, la tête ployant en arrière, les lèvres béantes montrant les dents, le rouge ardent et sain de la bouche.

— Et j’ai un très bon estomac, ajouta-t-elle.