Page:Yver - Les Cervelines.djvu/73

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malades immobiles dans leurs lits blancs, condensé aux vitres et vous regardant invisiblement.

Dans la petite chambre qu’elle occupait au second étage, à l’aile gauche, assise à sa table de travail, devant un livre de pathologie, Jeanne Bœrk bailla en étirant, les bras en croix, tous les muscles de sa belle et puissante personne. Le casque de ses cheveux brillait comme de la lumière, et sa santé rayonnait davantage dans le blanc écru de sa blouse. Cette blouse était sa coquetterie ; elle la conservait hors des salles, dans sa chambre, à la salle de garde, partout ; c’était sa livrée, son uniforme, qui lui rendait tangible la conscience d’être ce qu’elle était. Elle y était mi-homme, mi-femme, en même temps jolie et virile, gracieuse et sans-gêne.

Elle tira sa montre, vit qu’il était cinq heures, réfléchit un instant les poings aux hanches, dans la pose qu’elle affectionnait, puis ferma son livre, se débarrassa de sa blouse et du tablier blanc qui en enserrait les plis à la taille, pour revêtir son costume de ville, la cape de drap jaune avec le canotier noir.

Les femmes aiment à soigner l’ordre de leur chambre, à la laisser, elles parties, dans un arrangement religieux d’attente. Insoucieuse de ces minuties, Jeanne Bœrk avait déposé les vêtements ôtés sur son petit lit étroit d’étudiante ; sa pantoufle large de fille du peuple traînait à terre ; sur la cheminée, près d’un bouquet fané, souvenir d’une malade, s’amoncelaient peignes et épingles, les ustensiles de sa coiffure. À sa bibliothèque seule, régnait la symétrie. Hormis ce