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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/94

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petite main de malade qu’il venait de tenir. Malade, elle l’était sûrement ; atteinte déjà, à peine sans doute et dans des limites curables, mais sans erreur possible ; et il était temps d’avertir le frère qui ne voyait rien. Il se hâta même de dire, pour mettre en règle sa conscience d’homme aimé en vain :

— Surveille-la, Tisserel ; je la trouve bien fatiguée, mademoiselle Henriette.

— Elle a pourtant une rude santé, fit Tisserel en haussant les épaules.

Ils ne se dirent encore plus rien tous trois ; le scintillement des deux cigares et leurs fumées pâles faisaient des trouées dans l’ombre.

À un détour d’allée, Sultan, le terre-neuve d’Henriette, apparut, sa robe noire ne se détachant de la nuit que par l’ondulement de sa marche lente. Il était robuste et dressé sur ses pattes comme un lion, l’écartement des yeux lumineux mesurait l’ampleur de son beau front. Sa promenade tranquille s’arrêta court à la vue des hommes il hésita, puis obliqua vers eux sans hâte, posant l’une après l’autre sur le sable ses pattes lourdes.

— Sultan, mon bon chien chéri, murmura Henriette tendrement.

Le terre-neuve pressa le pas ; on vit ses yeux dardés sur ceux de la jeune fille, et il vint rouler dans sa robe et sous ses mains, sa tête, son cou, ses longues oreilles flasques. Henriette serrait dans ses doigts délicats cette grosse chose aimante ; elle lui chuchotait des douceurs, elle lui fermait à pleine main les yeux, caressait cette gueule haletante de fauve, les lèvres noires hu-