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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/98

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désireux de voir enfin cette Cerveline dont il entendait sans cesse le nom à la volée dans la ville, et que cette occasion lui souriait. Vois-tu, disait-il à Tisserel, ces femmes-là m’amusent. Tu sais comment je les apprécie ; mais cela me garnit l’opinion d’en connaître ; je meuble ainsi mon argumentation. Tu m’as montré ta belle interne, je t’ai dit ce que j’en pense ; c’est une femme superbe, mais elle te fera du chagrin un jour ou l’autre si tu ne t’en méfies pas. Ce sont les pires de toutes. Je me suis trop appesanti à réfléchir sur leur cas ; je les ai étudiées, je les ai soignées ; il y a eu chez nous des étudiantes finlandaises, une typhique et deux diphtéritiques ; je te donne ma parole qu’elles ne sentaient rien, des demoiselles en cire. On les a sauvées toutes, et je n’ai pu apprendre quelle figure ces créatures-là font devant la mort ; mais comment elles vivent, je le sais, et il me plaît d’en rencontrer de nouvelles au hasard de mon existence.

Un flot pressé de promeneurs descendait le quai à petits pas, dans la fraîcheur de la nuit et du fleuve proche. Une moitié de Briois était de hors. Les terrasses des cafés allumaient des plans de lumière électrique dans cette procession fourmillante d’hommes fatigués, de femmes vêtues de toile claire. De temps à autre, en passant, on entendait éclater un orchestre tzigane, des envolées vibrantes et nerveuses de violons, des valses saccadées. Plus loin, c’était un chœur de voix de femmes, chantant dans une langue étrangère qu’on ne distinguait pas. Et il sentait dans l’air l’absinthe, le cigare, la poudre de riz,