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Page:Yver - Les Dames du palais.djvu/116

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barre, à rencontrer un homme derrière moi, et, sous ma rhétorique, l’intelligence judiciaire si sûre, si nette de mon mari ; il est certain que ç’aurait été, pour l’avocat célèbre que vous êtes, moins désobligeant que de batailler contre la petite stagiaire de rien du tout que je suis. Et je vous avoue que je me trouve parfois d’une hardiesse démesurée ; mais vous me pardonnerez en raison de ma foi. Je suis le petit David, monsieur le bâtonnier, et vous le géant Goliath ; mais je défends une belle cause et j’ai la vérité dans ma fronde. Je me suis donnée à mon métier tout entière, voyez c’est le plus grand de tous, le plus généreux, le plus indépendant, et je suis assez fière d’être avocate pour que l’enthousiasme me grandisse un peu… Avocate ! mais vous ne pouvez imaginer à quel point je le suis, ni quelles émotions je ressens devant l’iniquité à combattre, ni mon désir de triompher. J’en ai la fièvre parfois, des pieds à la tête, j’en tremble, et alors vous comprenez que, lorsque je travaille, plus rien n’existe, le monde disparaît, mon cher André lui-même ne pourrait me distraire. J’ai fait deux parts de moi-même : l’une appartient à mon mari, mais l’autre, je me la réserve ; c’est mon domaine secret Le mariage ne m’a pas amoindrie. Ma liberté, la personnalité que je possédais jeune fille, je l’ai gardée intacte Mon mari n’a pas de droits là-dessus Il le sait, et me laisse élaborer seule mes plaidoiries.