Page:Yver - Les Dames du palais.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

j’aurais eu d’abord la grande crise douloureuse, puis, peu à peu, l’éternelle absence aurait usé ma douleur. Mais mon fils est vivant, et je lui suis devenu étranger. Il m’aime, et on lui défend ma présence. Il se développe, s’épanouit loin de moi. Il m’est refusé, et, pour aviver encore le sens de sa perte, on me le montre de temps en temps, de peur que je n’oublie, qu’à la longue je ne me console… Hier c’était jeudi : je l’ai vu…

Il s’arrêta. Ses yeux errèrent vers la place où, au travers des rideaux, les automobiles et les fiacres s’entrecroisant apparaissaient comme dans un songe. Un tramway pesant et noir, dont on entendit résonner la corne, arriva, glissa, et les vitres tremblèrent dans les châssis des fenêtres.

Alembert reprit :

— Je lui ai demandé s’il voudrait rester avec moi : il m’a répondu oui.

— Vous lui avez posé dix fois la question ; sa réponse fut toujours la même. Au point de vue du procès, ça n’a pas la moindre valeur. Cet enfant dit oui : parbleu ! vous ne voudriez pas qu’il vous dit non ! Il a douze ans votre fils, ce n’est plus un bébé.

— Oui, répondit Alembert rêveusement, c’est. un petit homme déjà.

Et il était très loin d’ici, les yeux mornes, accablé. Sans doute, dans ses souvenirs, repassait toute la visite de la veille : l’arrivée un peu embarrassée du petit garçon gêné, pas « chez