Page:Yver - Les Dames du palais.djvu/134

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taisiste improvisation de raisonnements, d’articles du code, de citations empruntées à la jurisprudence. Néanmoins cette partie du travail ne venait jamais qu’après coup. Auparavant, son siège était fait.

Ces habitudes n’étaient pas pour plaire au froid et méthodique Vélines. Il aurait voulu faire adopter à sa femme la manière classique. Lui s’y reprenait à dix fois pour constituer un dossier. Il noircissait des rames de papier blanc à confectionner, avec des puérilités de vieux bureaucrate, des sortes d’ « états » où chaque point de l’affaire était mis en regard de la formule juridique dont il relevait. Il commençait seulement à penser à l’audience, quand la cause s’étalait ainsi, nette et claire, devant ses yeux. On aurait dit qu’il avait hérité du grand’père Mansart, l’avoué de Rouen, cet art de bâtir un procès, d’en ériger l’architecture, de l’établir magistralement par une simple juxtaposition de documents secs, sans une phrase, sans un mot de liaison, comme on fait dans les études. Mais il y avait entre Henriette et André cette incompatibilité mentale qui existera toujours entre l’homme et la femme, entre celui qui surtout pense et celle qui surtout sent. Et, tout en le chérissant, elle avait peur de sa force, elle lui dissimulait le plus précieux d’elle-même. Il avait fini par se résigner à la voir s’enfermer seule dans son cabinet, chaque matin, jusqu’au déjeuner.