Page:Yver - Les Dames du palais.djvu/278

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boulevard de Rouen, comme un grand parc obscur où les rues dessinaient des allées blanchissantes. En bas, les clochers pointaient au-dessus de l’océan des toits ; des nefs d’église semblaient de grands vaisseaux à l’ancre. Et Vélines, qui s’orientait, disait en promenant son regard sur la cité assoupie : « Là est le lycée… là, le Palais de Justice… là, les quais où l’on me montrait autrefois l’ancienne étude du grand’père… »

Soudain il prêta l’oreille. Le vent du sud leur apportait un tintement fort et lointain, si berceur qu’on se serait endormi doucement à l’entendre. C’était le couvre-feu, la cloche d’argent, l’antique « Cache-ribaudes », carillonnant là-bas dans son beffroi du Gros-Horloge. La même, dit-on, sonna le tocsin quand fut brûlée Jeanne d’Arc. Mais Vélines ne fouillait pas si loin dans l’histoire. Cette cloche avait accompagné ses rêveries enflammées d’enfant ; dans des soirs pareils à celui-ci, elle carillonnait en notes profondes et vibrantes quand, à ces premières heures de liberté que lui avait si intelligemment octroyées sa grand’mère, il arpentait les rues rouennaises, boueuses sous les becs de gaz jaunes, ou bleuissantes sous les lampadaires électriques. Sa jeunesse avait laissé dans ces rues, dans ces années passées, quelque chose dont le couvre-feu archaïque et discret lui renvoyait aujourd’hui l’écho. Instinctivement sa main chercha une main affec-