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Page:Yver - Les Dames du palais.djvu/63

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il vint, demanda ce qu’il y avait. On le lui expliqua. Il adorait Henriette. C’était un grand homme sec, aux cheveux gris, à la bouche triste, à la belle main expressive. Comme le présumait sa femme, qui reconnaissait volontiers l’autorité de sa valeur, il mit la question sur son vrai terrain.

— Chère petite, dit-il, en serrant sa fille dans ses bras, ce mot d’avocate nous effraye un peu. Tu avais si bien, jusqu’ici, personnifié ce joli nom d’Henriette qui, depuis Molière, est dans nos classiques traditions françaises, significatif de charme sain, de féminité gracieuse, simple, dépourvue de pédantisme… Il est assez naturel que nous redoutions pour toi un état si nouveau, si exceptionnel encore chez les femmes : celles qui le choisissent doivent être singulièrement fortes pour résister à la griserie, à la vanité déformantes. Et quel malheur, Henriette, si tu cessais d’être la petite femme accomplie, joyeuse et tendre que nous aimons en toi !… Je connais le sérieux de ton esprit : ce n’est pas légèrement que tu t’engagerais dans cette carrière jusqu’ici réservée aux hommes. Tu veux t’y donner toute, et c’est bien là ce qui m’épouvante. Tu vas à l’encontre de nos mœurs essentielles. Nous y avions obéi en t’élevant, comme on élève toutes les petites Françaises, pour le mariage ; mais voici que tu déplaces l’axe de ta vie, et le transportes hors de la maison. Alors, que devient notre idée héréditaire : la perpétuation de la famille ?