Page:Yver - Les Dames du palais.djvu/81

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Elle ne pleurait pas ; mais sur ses genoux, ses doigts crispés se tordaient. Henriette frémissait de pitié, à la voir tant souffrir.

— Attendez, Suzanne !… Vous l’aurez encore, si le tribunal confirme le premier jugement et vous l’attribue.

— Mais s’il l’attribue à M. Alembert, on me l’arrachera, et je n’aurai pas le droit de résister, pas celui de le retenir une seule journée. On comptera les baisers que je pourrai lui donner chaque quinzaine, il deviendra un petit parent lointain qu’on vous montre de temps à autre.

Elle se tut, s’enferma encore, de longues minutes, en son mutisme tragique. Il y avait de l’orgueil dans sa douleur. Une légende de dignité ombrageuse, d’inflexibilité féminine, entourait l’histoire de son divorce. Alembert l’avait si peu offensée ! disait-on. Mais elle avait été intransigeante, réclamant de son mari la même fidélité de corps et d’âme qu’elle lui gardait elle-même. Son bonheur, fondé sur cette théorie altière qui place l’époux et l’épouse dans une égalité absolue au regard de la loi morale, n’avait pu subsister après l’égarement de l’ingénieur. La féministe mondaine et dilettante qu’était Suzanne Marty était allée jusqu’au bout de son principe. Le péché masculin, dont tant de femmes tolérantes, maternelles, supportent héroïquement la peine, l’avait, à son sens, déshonorée, avait de lui-même rompu le mariage.