Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/145

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leur manquerait d’avoir souffert, d’avoir aimé, d’avoir vécu. Il ne suffit pas à l’art d’être divin ; il faut qu’il nous apparaisse tout vibrant d’humanité. Tous les maîtres l’ont compris, et c’est ainsi qu’ils nous ont montré ce qu’il y a de divin dans l’homme, ou ce que nous concevons d’humain en Dieu. Et il est alors nécessaire à l’artiste de vivre complètement, de connaître les grands mouvements de l’âme : la douleur et l’amour.

À cet instant, ses yeux rencontrèrent ceux de Jeanne, et ils se sourirent ineffablement.

— C’est égal, fit Nelly Darche, nous tous, ici, vous nous considérez comme des épiciers.

— Allons donc ! s’écria Houchemagne ; artistes, vous l’êtes mille fois plus que vous ne le croyez ; mais c’est quand vous imaginez l’être le moins que vous atteignez au degré le plus élevé de l’art. On remonta au salon du premier pour prendre le café. Cousine Jeanne avait proposé aux enfants d’aller jouer au jardin, que le clair de lune inondait. Mais François se dit fatigué ; Hélène, qui avait écouté avec passion les théories d’Houchemagne, souhaitait ne rien perdre des causeries, et Marcelle voulait toujours suivre les grandes personnes. Nelly Darche et Vaupalier se penchèrent à une fenêtre d’où l’on voyait les feuillages frissonner sous la brise de printemps ; et Vaupalier montrait à Nelly de jeunes acacias qui avaient poussé longs, flexibles et ondulants ; le vent les secouait avec mollesse ; ils semblaient