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Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/149

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ils s’assirent l’un près de l’autre en silence ; tous deux remuaient secrètement les idées qu’avait réveillées en eux la profession de foi d’Houchemagne. Celui-ci dit bientôt :

— J’aurais dû me taire : d’abord, je n’ai pas le droit de parler avant d’avoir produit mon œuvre ; puis un artiste ne doit s’exprimer que par son talent. La parole ne lui appartient pas.

— Un artiste est un homme, reprit Jeanne avec sa douceur coutumière, et la parole un besoin humain. Il faut, à certains moments précis, s’épancher soit de ses peines, soit de son espoir, soit de sa foi.

— Jeanne, dit l’artiste, comme s’il eût été pris d’un serrement de cœur, crois-tu que je ferai mon œuvre jusqu’au bout comme elle doit être faite ?

— Certes oui, je le crois, lui dit sa femme en le baisant au front.

— Ah ! murmura-t-il les yeux clos, il faudrait un grand être, un fascinateur, un maître d’hommes pour rénover l’Art, faire justice de l’art matérialiste, comme ils l’appellent dans un horrible contresens d’ignorants, recréer un grand art français, un art pour l’élite, qui ne soit pas inaccessible au peuple, pour faire jaillir de la triste masse démocratique l’étincelle d’un véritable art populaire. Ah ! Jeanne, le beau peuple que nous ferions si, avec notre développement moderne, nous avions seulement le quart de l’inspiration artistique qui soufflait sur la France au Moyen âge,