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Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/152

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Le soir, alors qu’on croyait la fillette couchée, elle se mettait à la fenêtre, et dans le pan de ciel que découpaient les quatre bâtiments de l’immeuble, elle cherchait les astres, les nuages. Elle aurait voulu voyager, traverser les mers, visiter des pays sans bornes. Ce petit appartement la murait vive, étouffait son exaltation, lui blessait les ailes. Elle se soulevait en pensée jusqu’aux espaces sidéraux, imaginait que des nuages l’y portaient, l’y roulaient. Elle se réveillait bien étonnée de se trouver à cette lucarne, avec le trou noir de la cour devant elle, et aux fenêtres du premier, madame Dodelaud en bonnet de nuit qui arrosait les géraniums de son balcon. Elle aurait voulu que la lune fût une personne. Elle était malheureuse, et nul ne le savait ; si elle l’avait dit à quelque humain, on se serait moqué d’elle, car c’est un adage courant que les enfants jouissent d’un bonheur parfait. Mais un astre compatissant, qui aurait lu au fond d’elle-même, aurait compris son indéfinissable chagrin.

À d’autres moments du jour, elle se blottissait au pied des colonnes du Parthénon, au fond de l’atelier, pour rêver à l’aise. Elle voulait que le monde entier la connût, qu’on parlât d’elle partout, que des foules courussent à son passage. Que ferait-elle pour cela ? Et elle imaginait de tuer un tyran, comme Charlotte Corday, de délivrer la France, comme Jeanne d’Arc, ou d’écrire des vers immortels comme la poétesse Sapho. Et