Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/153

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elle se voyait chevauchant un étalon terrible dans le fracas d’une bataille, apparaissant le poignard à la main, toute rouge de sang devant un peuple en délire, ou bien lisant des poèmes inouïs, dans un théâtre colossal, devant une multitude pâmée de surprise.

Parfois cousine Jeanne venait passer l’après-midi, et, pendant que Jenny Fontœuvre peignait, elle se mettait au piano, jouait des nocturnes de Chopin, ou des romances sans paroles infiniment douces et touchantes. Alors Marcelle se blottissait dans le canapé, écoutait en fermant les yeux, et son cœur se gonflait d’une tristesse délicieuse. Elle désirait d’être grande, mariée comme Jeanne et de subir des chagrins tragiques : elle se serait habillée tout en noir, aurait été très pâle, les yeux noyés de larmes. Tout le monde se serait intéressé à elle ; on l’aurait saluée avec compassion, et l’on aurait dit d’elle : « C’est cette jeune femme qui a eu de si grands malheurs… » Et déjà, s’apitoyant sur elle-même, elle devait étouffer les soupirs qui soulevaient sa poitrine, ou retenir ses larmes. Au cours, elle était la plus intelligente, la plus avancée, s’amusant à toutes les leçons, adorant apprendre, bien différente de son frère François qui, à treize ans, redoublait sa cinquième dans son éternelle aversion pour l’effort. Au début de cette année-là, Pierre Fontœuvre s’était avisé de se montrer sévère au reçu d’un bulletin déplorable. Il avait tancé son fils, l’avait même secoué