Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/173

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douceur à plonger son regard dans ces yeux si clairs, d’un vert si calme, si froid.

— Nous nous sommes tant aimés ! Ah !… tu connaîtras cela quelque jour : tu sauras ce que c’est que d’appartenir corps et âme à un être unique, de verser son cœur, sa vie dans le cœur d’un homme qu’on aime. Vois-tu, quand il arrivait, quand il poussait cette porte, quand il s’avançait de son pas de velours, pendant que ses chers yeux me souriaient, ah : j’étouffais un cri, je tendais les bras…

À ce souvenir, un sanglot plus violent la rejeta convulsée sur le canapé. Et Marcelle, impassible, contemplait cette souffrance, qui mettait à nu la véritable nature de cette femme, cent fois plus faite pour aimer que pour peindre.

Pour la seconde fois, elle était en présence de cette passion qu’elle avait lue un jour dans les yeux extasiés de cousine Jeanne. Et l’émotion qu’elle en ressentait dépassait la pitié qu’aurait dù lui inspirer le désespoir de son amie. Elle n’était pas compatissante, ignorant la douleur et ayant encore, à dix-sept ans, cette sécheresse d’âme des enfants très repliés sur eux-mêmes. C’était une grande illusion de Nelly Darche de se croire tendrement plainte par Marcelle. Mais elle se soulageait à étaler sa peine devant la petite fille qui avait été, pendant des années, le témoin de son amour… Et elle contait que l’horrible rupture, qui lui arrachait la moitié d’elle-même,