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Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/179

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de toutes ses devantures hermétiquement closes, Nugues disait :

— C’est singulier, mon cher, comme je suis heureux depuis que j’ai lâché l’art pour le commerce. Je n’ai pas de regrets, au contraire une satisfaction amère. C’est comme si mon art avait été pour moi un sale patron, une rosse, à qui j’étais dévoué comme un chien, avec exaltation, avec transport, et qui me refusait jusqu’à mon pain. Alors, maintenant, je le nargue avec mon encre de Chine et les photos d’objets de voyage que je copie du matin au soir. Je m’y applique ; c’est luisant, c’est joli. Je dis Tiens ! voilà pour mes refus au Salon ; tiens ! voilà pour ma vue de Notre-Dame vendue un louis !

— Mon vieux, dit Houchemagne, je vous estime plus qu’une quantité de méchants bougres qui font de la grande peinture. Mais je ne vous estime pas seulement…

— Quoi ? dit Nugues, comme ils s’arrêtaient sur le seuil d’un marchand de vin qui allait fermer.

— Je vous admire, finit Houchemagne.

— Quelle blague !

Et il prirent deux bouteilles du meilleur rhum que Nicolas laissa Nugues payer, par délicatesse. Mais il voulut y joindre des huîtres, de la choucroute et du champagne, tout un souper. Et quand ils revinrent, chargés comme deux ménagères un matin de marché, ils étouffaient leur fou rire