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Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/183

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jusqu’à une sortie d’école, jusqu’à l’issue d’un sermon à la Madeleine, jusqu’au tramway qui roule pesamment, chargé de monde. Je veux qu’elle sache qu’un geste, un seul geste est intéressant à peindre, et que l’artiste qui le rend avec conscience, avec vérité, est un créateur.

À ces derniers mots, on entendit un sanglot éclater au bout de la table. Les regards virèrent de ce côté. C’était Nugues qui pleurait à chaudes larmes. Il avait beau faire le brave, accepter crânement son sort, se vanter même de n’être plus qu’un ouvrier d’art, de ne savoir plus que dessiner des sacs de voyage, par instant, pour quelques gouttes d’alcool qui lui montaient au cerveau, toute l’ardeur de ses anciennes théories lui revenait puissamment. Il se rappelait combien lui aussi avait aimé la vie, ce qu’il avait peiné pour l’exprimer, et les soliloques tonitruants des cafés de Montmartre où il prêchait son procédé de décomposition de la lumière. Alors, son cœur se déchirait.

— Mes pauvres vieux, mes pauvres vieux, pardon, disait-il, c’est plus fort que moi. Fontœuvre a raison, il est beau de peindre de la vie !

Une grande tristesse aussitôt pesa sur la réunion. C’était si navrant, cette faillite d’une existence artiste dont le talent n’avait pas servi les aspirations ! Jenny Fontœuvre elle-même essuya furtivement ses larmes, car n’étaient-ils pas, elle et son mari, logés presque à la même