Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/184

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enseigne, avec la misère qu’ils traînaient depuis vingt ans ? Au fond, c’était encore Nugues qui avait le beau rôle d’avoir fait courageusement le sacrifice, de s’être retranché de l’art, orgueilleusement.

— Ah ! dit-elle en soupirant, d’un mot qui résumait ces réflexions amères, j’ai tout fait pour empêcher que Marcelle aussi connût ces déceptions. Il n’y a pas eu moyen. La voilà, elle aussi, lancée dans la carrière.

La jeune fille se redressa et parla enfin :

— Qui te dit que je ne réussirai pas ?

— Bien cela, ma fille ! fit Juliette Angeloup.

Un tourbillon d’idées, d’impressions, de désirs, agitait Marcelle avec les fumées du champagne et du punch. On s’acharnait à étouffer ses illusions ; elle cherchait un allié qui la comprit, qui se fit caution pour elle ; ses yeux sollicitèrent Nicolas. Mais celui-ci avait quitté la table pour entraîner Nugues, le consoler. Il souffrait de son succès chaque jour grandissant, pareil à une apothéose, que lui faisaient Paris, la France, l’Europe, le Nouveau Monde, quand devant lui un camarade saignait de ses déboires. Ah ! si la célébrité avait pu se partager comme les sous !

— Voyons, mon vieux, murmurait-il, vous avez mieux fait que de peindre la vie, vous avez aimé, vous vous êtes créé une famille, et pour votre femme, pour votre mioche, vous vous êtes arraché du cœur ce qui vous était le plus cher.