Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/200

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trice ; il lui insufflerait son génie. Ainsi le mysticisme du peintre se présentait à elle comme une volupté raffinée dont il lui apprendrait à jouir.

Le lendemain, ses parents, ses compagnes d’atelier, Seldermeyer qui corrigea son dessin, virent la même petite fille endormie, silencieuse, impénétrable qu’ils connaissaient. Elle se maîtrisait si parfaitement qu’il était impossible de soupçonner même un peu d’activité cérébrale en cette grande enfant dont tout le monde croyait que sa croissance rapide l’avait stupéfiée. À la sortie de l’École, le soir, elle descendit jusqu’à la rue Visconti et sonna chez les Houchemagne, mais elle ne vit que cousine Jeanne : Nicolas était sorti.

Nicolas préparait alors sa Multiplication des pains, la toile la plus considérable qu’il eût jamais entreprise, qui rappellerait, pour les proportions, les Noces de Cana elles-mêmes. Jamais, lors de la conception d’aucune autre œuvre, il n’avait connu d’ivresse aussi sereine, aussi paisible. Il était parvenu au maximum de son talent, était le maître absolu de sa palette, ne redoutait plus en rien la facture. Pour la composition, elle lui était venue sans recherches, sans tâtonnements, sans effort. Et il travaillait huit, dix heures par jour à ses études de tête, à ses croquis, sans fièvre, dans une exaltation légère et délicieuse, dans un bonheur surhumain. Entre temps, il s’appliquait à ce qu’il appelait la préparation