Aller au contenu

Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Tu sais, ma petite, je n’ai jamais été bien jolie, mais j’ai eu vingt ans, et j’avais de la ligne, et mes premiers portraits, j’y mettais déjà toute mon âme. Je puis bien l’avouer, j’en ai fait de beaux. Et c’est ce jeune talent qui avait fait impression sur un grand peintre. Je ne te le nommerai pas, petite, car, un jour ou l’autre, tu le rencontreras aussi, et c’est un secret que cet amour qu’il eut pour moi.

— Vous ne l’aimiez pas, vous ? demanda Marcelle.

— Moi !… oh ! ma chérie !

Deux grosses larmes sortirent des yeux de la malade et roulèrent sur l’oreiller ; elle reprit :

— Moi je ne l’aimais pas ? Tiens ! aujourd’hui, faible comme je suis après ce jeûne de vingt-cinq jours, s’il entrait soudain, s’il arrivait ici, je crois que je mourrais.

— Eh bien alors ?

— Il n’était pas libre, Marcelle ; il avait une femme à laquelle il ne pouvait faire aucun reproche ; il m’aurait aimée clandestinement, en fraude ; je serais entrée avec lui dans cette boue de l’adultère dont on ne peut jamais se laver ensuite. Oh ! je n’ai pas voulu, je n’ai jamais voulu. Dieu ! que j’ai souffert, pourtant ! Mais j’ai mon Art.

Elle regardait peureusement cette grande fille. impassible qui, peut-être, dans l’orgueil de ses dix-sept ans victorieux, allait se moquer d’un si