Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/217

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pauvre roman. Mais Marcelle ne pensait pas à l’ironie ; elle embrassait d’un regard la misère de cet atelier si lamentable, ce vaste grenier vitré, où de vieux meubles boiteux, des fauteuils usés jusqu’à la corde, des chaises vermoulues criaient la pauvreté navrante, où les admirables toiles des murs, elles-mêmes, étaient comme voilées par cette cendre grise qui semble répandue dans les logis sordides ; et à son esprit troublé, l’ensemble de ces choses attristantes devint l’appareil de l’austère vertu. Puis, avec une curiosité nerveuse qu’expliquait assez la fièvre de sa passion :

— Comme vous devez regretter aujourd’hui !

Mademoiselle Arnaud fit dans le lit un mouvement de doute, d’incertitude ; sa main grasse, mais exsangue, de malade, passa sur son front et elle finit par dire :

— Non, je ne regrette pas. Je suis en paix maintenant.

Mais cette paix qu’elle avouait avec mélancolie parut si abominable à Marcelle, qu’un peu d’émotion jaillit enfin du cœur de l’adolescente. Ses yeux devinrent humides ; elle embrassa Blanche Arnaud, puis n’eut plus qu’une idée : fuir, fuir ce logis de paix atroce, de paix sépulcrale. Non, elle ne voulait pas cette paix-là ; non, elle ne voulait pas mourir non plus. Ce qu’elle voulait, c’était vivre, connaître l’ivresse de l’amour, le paroxysme du bonheur ; c’était les bras de Nicolas pour s’y enfermer, la bouche de Nicolas pour la baiser,