Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Sauveur, qui sera le chef-d’œuvre de ta vie ; je sais que tu l’as en toi, qu’elle vient au jour de minute en minute, que demain, peut-être elle sera là, vivante, pour la joie éternelle du Monde, et moi, une pauvre femme qui souffre comme tant d’autres, j’exigerais que, pour ma consolation. particulière, tu compromisses ton œuvre en allant ressentir d’atroces émotions ? Non, Nicolas, tu resteras à ton chevalet en pensant à moi.

— Il faut que je parte avec toi, balbutia Houchemagne d’une voix sourde. Je ne puis t’abandonner, ma pauvre Jeanne.

À ce mot de compassion, la jeune femme cessa de se contenir ; ses larmes jaillirent à flots, elle se mit à parler avec une abondance désolée de son père, de son enfance, des soins qu’il lui donnait, si maternels, si surprenants chez un homme. Elle rappelait tous ses souvenirs : il l’avait veillée treize nuits, lors d’une scarlatine. L’hiver, il se privait des soirées auxquelles il était invité pour ne pas la laisser seule au château. Ah ! les promenades exquises qu’ils faisaient au printemps. Mon Dieu ! comme il l’avait chérie ! Et elle se tordait les mains.

— Je pars avec toi, reprenait Nicolas, il faut que je parte.

Alors, elle le mena devant le chevalet où l’image du Christ se dressait déjà au trait noir, si troublante.

— Ma consolation, dit-elle en pleurant, ce sera