Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ta gloire, ce sera le succès de ce tableau. Cela me sera bon au retour, quand je te reviendrai meurtrie, de goûter la beauté de ton œuvre. Je suis forte, tu sais, je saurai souffrir.

— Ma pauvre Jeanne ! ma pauvre Jeanne ! répétait-il en la contemplant d’un regard étrange.

Quand elle eut fait en hâte, avec sa femme de chambre, les préparatifs de départ, elle vit Nicolas accourir à elle avec une sorte d’effarement. Il venait de passer une heure seul, dans l’obscurité de son atelier ; l’ivresse de sa faute se dissipait, la honte lui montait du fond de l’âme, et il se sentait si faible qu’il cherchait un appui.

— Jeanne, ma bonne Jeanne, suppliait-il, emmène-moi, il faut que tu m’emmènes ; je ne peux pas rester tout seul ici.

À ces mots, elle crut à un accès de découragement, à une lassitude ; elle se mit à l’exhorter, à lui montrer la réussite proche, et elle évoquait la toile avec tous ses personnages, grouillante de foule, palpitante de vie, radieuse de divinité. Et Nicolas qui, depuis huit années, s’exaltait à ces sortes de discours, s’y enflammait, y retrouvait toujours l’excitation nécessaire, s’irrita aujourd’hui de les entendre résonner à faux, de trouver Jeanne si incompréhensive, si loin de la vérité. Il lui en voulait de ne pas deviner la trahison, de ne pas le sauver du péril. Il la comparait à l’autre. Jeanne aussi jadis s’était offerte à lui. « Je suis la servante de votre génie », lui avait-elle dit suave-