Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/250

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faisait semblable à cet enfant ! On dit que l’amour grandit un homme, qu’il l’élève. « Suis-je plus grand aujourd’hui, se disait-il, aujourd’hui que j’ai trahi Jeanne, que j’ai, en pleine maturité, et alors que mes cheveux grisonnent déjà, possédé une adolescente, une enfant ; que je me sens tiré, lié à elle par des traits tout-puissants ; aujourd’hui que je ne suis plus maître de mes volontés, que mon imagination me domine, que mes idées fuient, qu’une sorte de stérilité a gagné mon cerveau… »

Il posa quelques touches ; elle lui parurent mauvaises ; contre son habitude, il gratta et recommença.

« Et pourtant, se disait-il encore, je suis heureux ; je suis souverainement heureux. J’aime Marcelle. Oh ! que je l’aime ! Rien ne ressemble à l’amour. Une heure d’amour vaut toute la vie. Jamais je n’ai connu pareil bonheur. Tous mes succès ? Quelle misère auprès de ce que je sens quand elle me noue au cou ses bras si délicats ! Qu’ils sont fins et jolis, ses bras nus ! et son épaule de petite fille, quelle fragilité, quelle grâce ! »

Il rêvait à elle. Il s’assit sur le degré de l’échelle. Une heure passa. Il avait revécu sa matinée d’amour, et devant lui son tableau s’étendait tout blanc, avec ses linéaments noirs et quelques taches roses, grotesques, sur la joue d’un enfant.