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Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/251

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Alors, une telle honte le saisit à constater cette chute morale, que, pris d’une colère effroyable, il lança sa palette à terre. Elle se fendit en morceaux ; il la vit brisée, avec les couleurs mêlées et étalées sur le plancher, et il se sentit perdu, sans espoir possible de relèvement, comme si cette compagne fidèle de sa vie artistique eût été son propre symbole.

La nuit, une nuit tardive de juillet, gagna lentement le grand atelier que la lune ensuite vint éclairer. Houchemagne n’avait même pas répondu à l’appel de ses domestiques qui le sollicitaient pour le repas du soir. Le temps passa. De nouveau des pas retentirent dans l’escalier ; il eut un sursaut d’impatience contre l’importunité de ses gens ; mais la porte s’ouvrit, et il aperçut une longue robe noire, un voile de crêpe sous lequel luisaient des cheveux d’or lumineux.

— Jeanne ! cria-t-il, c’est toi !

— Oui, c’est moi, murmura-t-elle en relevant son voile ; oui, c’est moi.

Et sa divine beauté rayonna de nouveau dans l’atelier. Elle essayait de sourire à Nicolas. Elle était oppressée d’être montée trop vite ; on sentait que, pour venir à lui plus tôt, elle avait excédé ses forces. Elle s’approcha, lui tendit ses lèvres, lui tendit ses bras, et c’étaient les gestes sacrés d’une adoration déjà ancienne, une adoration d’épouse que huit années de pensée commune, de dévouement, de soins, de maternelle