Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/268

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cruel, reprochant à Jeanne des reproches qu’elle n’avait pas proférés, fouillant jusqu’à ses pensées pour lui faire un grief de celles qu’il lui supposait et quand il l’avait ainsi abreuvée d’amertume, il arrivait près de Marcelle dans une exaltation qui confinait à la folie.

— Tu sais, je tue Jeanne ; je la tue lentement, mais elle mourra de ce qu’elle endure.

— Oublie Jeanne au moins pendant que tu es à moi, disait Marcelle.

Souvent ils pleuraient ensemble sur la misère de leur malheureux amour. Car les remords de son amant avaient peu à peu amolli l’inconsciente Marcelle. La souffrance de Nicolas, à pénétrer sa passion, d’abord rudimentaire en sa sensualité, l’avait comme organisée, compliquée, adoucie. Marcelle n’était plus la même. Sans regretter rien encore, elle pleurait au moins le radieux bonheur qu’ils auraient eu s’ils avaient eu le droit de s’aimer ; et plus elle chérissait Nicolas, moins elle haïssait Jeanne qui, elle aussi, aimait dans la douleur.

Quand Marcelle venait rue Visconti, elle montait droit à l’atelier. La grande toile, où la composition s’esquissait au fusain, n’avait pas progressé, et au chevalet, on voyait toujours le Christ sans visage. Nicolas regardait Marcelle avec pitié.

— Pauvre petite, tu viens docilement prendre ta leçon, tu viens t’éclairer aux lumières de l’artiste… Mais ne sais-tu pas que je suis fini,