Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/269

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incapable ? je suis l’arbre stérile, bon à jeter au feu.

— Oh ! Nicolas ! prononçait-elle avec une admiration qui la transfigurait, un génie comme le tien ne peut devenir stérile !

Pour elle, rien ne l’inquiétait dans cette impuissance. Elle en était fière plutôt, l’attribuant à la violence de l’amour qu’elle avait inspiré. Et elle ouvrait ses cartons, montrait ses études de Meudon, de Chaville, faites avec la Russe, disait ses projets de composition pour l’avenir. Nicolas la reprenait, dirigeait sa flamme, lui donnait à lire à haute voix des pages de la Légende dorée, et souvent, au milieu de la lecture, il l’interrompait :

— Tu es ma fille, tu sais ; je te fais avec la substance de mon âme.

Jamais, quelque désir qu’ils eussent l’un de l’autre, ils n’échangeaient même un baiser dans cet atelier où ils s’étaient appartenus pour la première fois. C’était la pudeur de leur amour coupable de respecter ce lieu comme un sanctuaire, à cause de Jeanne, à cause de l’Art, à cause de toute l’œuvre passée suspendue aux murailles blanches le Triptyque de Saint François, le Centaure, le Sphinx colossal, le terrible Taureau ailé, surtout le Sauveur dont Nicolas n’avait pas été assez pur pour peindre le visage… Leurs mains se prenaient, leurs yeux se pénétraient, et après s’être privés de toutes caresses, ils emportaient