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Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/283

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emmenée aux vignes pour tenir le cheval lors des « rabourages », selon la coutume des autres cultivateurs. Jamais elle n’allait comme les autres femmes, sous le soleil, une large cornette empesée sur la tête, ébourgeonner, sarcler, sulfater, arracher les échalas. Le vigneron, acharné au travail, y suffisait seul. Elle ne participait qu’à la vendange, qui est une sorte de fête. Et Nicolas, qui dans son enfance n’avait vu entre ses parents nul échange de tendresses, comprenait aujourd’hui ce taciturne amour de paysan, ce culte muet d’un homme simple, pour une femme secrètement adorée. Il se rappelait les soirées d’hiver qui s’écoulaient dans cette salle, toujours semblable, et quel bien-être il éprouvait quand il apprenait ses leçons sous la lampe, pendant que son père décortiquait les haricots secs, et que sa mère cousait, avec des mines coquettes pour admirer son ouvrage. Ils ne se disaient jamais rien ; aucun des trois ne parlait ; mais l’admirable cohésion de la famille, comme il la voyait aujourd’hui, puissante et sacrée, entre eux trois ! Que de bonheur et de sainteté dans ce foyer !

Celle dont il tenait sa nature qui, en l’enfantant, l’avait placé hors de sa race, il l’avait perdue toute jeune encore, avant même d’avoir pu connaître son âme mystérieuse. Et il savait que son père avait eu là une douleur peu commune chez un paysan ; il savait aussi que le vieillard avait gardé à la morte une stricte fidélité. Un jour de