Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/288

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— C’est ici que je venais, — pour un nid de chardonneret, — quand j’avais dix ans. — Je reviens après trente ans, — qu’ai-je fait de ma vie ? Mon œuvre est trahie. — Dieu m’a frappé d’impuissance, — mon honnêteté d’homme est détruite, — et je suis devenu le bourreau de la plus sainte des femmes. — Si tous les vieux vignerons dont je suis l’enfant, — qui sont couchés là, dans le petit cimetière, me voient aujourd’hui, — quelle malédiction ils doivent laisser tomber sur moi, — moi dont j’avais rêvé qu’ils seraient fiers ! — Si encore je te rendais heureuse ! — mais tu vois, quelle faiblesse, pas même le courage de souffrir seul…

Elle était toujours debout devant lui, impassible ; le soleil faisait étinceler le filigrane d’or de sa ceinture et ses cheveux blonds sous le chapeau de paille, autour de son visage illisible. Sur la route, devant eux, trois femmes passèrent avec des paniers profonds pour la cueillette des prunes. Elles causaient. Elles se turent en apercevant ce couple ; un peu plus loin, leur conversation reprit. Dix minutes plus tard, ce fut un vieillard, cheminant lourdement sous un faix de bois, qui, revenant des taillis, passa en sens inverse. Puis la solitude fut complète. Alors Marcelle appela :

— Nicolas !

Il leva les yeux.

— Nicolas, je t’aime assez pour faire tout ce que tu veux.