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Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/317

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au delà. Ce serait donc fini de l’existence lamentable traînée depuis qu’on était mariés. Pierre exultait. Jenny traversait encore des heures d’inquiétudes, causées par les difficultés d’exécution qu’entraînait la pose du modèle. La fuite du flanc, dans le mouvement du berger renversé contre un tertre, elle ne la trouvait pas. La séance finie, elle revenait encore à sa toile, ajoutait de nouvelles touches. Puis les conseils se multipliaient et achevaient de la décontenancer. Addeghem, qui jouait au bon génie dans ce ménage, disait carrément :

— Mais il ne fuit pas, votre flanc, ma petite, il ne fuit pas.

Bientôt c’était Nelly Darche qui arrivait et lorgnait la toile, critiquait la coloration des chairs, les ombres, le fond, enfin s’écriait :

— Mais quelle bizarre anatomie a-t-il, votre bonhomme ? lui faites-vous une hypertrophie du foie ? Mettez-moi donc un peu de vert sous ses fausses côtes, et fabriquez-lui vraiment un sternum et une hanche !

Une autre fois, c’était la vieille Angeloup, alourdie par l’âge, le rhumatisme, l’obésité, qui arrivait au chevalet et relevait les défauts de l’œuvre. Pour elle, tout dérivait du manque de lumière dans les premiers plans.

— Ah ! mon petit, faisait-elle, d’une voix grave, si tu avais entendu Manet nous expliquer tout ce qu’on peut tirer de la lumière !