Aller au contenu

Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

blanche serrée au col et aux poignets, la palette à la main, Jenny Fontœuvre se détachait en silhouette précise contre le vitrage éblouissant de lumière, et sur la sellette, devant elle, les jambes pendantes, les bras noués au-dessus de la tête renversée, le modèle nu posait dans l’attitude du sommeil. Il avait une peau ambrée, le thorax un peu maigre que découvrait la saillie des pectoraux. François, d’un coup d’œil, vit tout cela. Il vit ce singulier tête-à-tête qui lui parut à la fois tout simple et bizarre. Il vit la brosse de Jenny fouiller sur la palette une pâte semblable à de la chair vive. En s’approchant, il vit, sur la toile, le berger endormi, bien dessiné, médiocrement peint, de couleurs mornes, avec des ombres brutales et le défaut de la hanche « qui ne tournait pas ». Et il entendit Jenny dire, impatiente :

— Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Tu vois bien que je travaille.

C’était sa dernière séance. Il fallait que le tableau fût le lendemain rue Laffitte, et elle donnait pour le parachèvement de son œuvre un effort où passait toute sa nervosité. Son front se plissait, ses longs yeux se bridaient, sa bouche se serrait dans l’application douloureuse. Qu’elle était peu maternelle ainsi ! François sentit son cœur se barrer. Toutes ses velléités de confidences furent étouffées du coup. Sa mère, c’était une femme comme les autres ; elle vivait sa vie.