Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/352

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juge ; et Nicolas, voyant le canapé derrière lui, s’y était assis par accablement. Addeghem disait : Mon petit, quand on est artiste, il faut être en communion avec son siècle. Votre idéalisme, Dieu sait si je l’ai encouragé à vos débuts, Dieu sait si je vous y ai maintenu par toute mon influence, si je l’ai prôné par mes articles, vanté dans les milieux littéraires, répandu même à l’étranger. C’est que je sentais là, pour un jeune, un merveilleux moyen de frapper l’attention, d’étonner le monde artiste. Quand j’ai vu votre Ange, mon flair ne m’a pas trompé ; j’ai prédit le succès, et les événements ont justifié mes dires. Mais je ne m’illusionne pas ; je n’ai jamais cru qu’un genre si particulier et fondé, en dehors de la vie, sur des rêves, pût satisfaire complètement le public. Il lui faut de la beauté, mais point inaccessible. Offrez-lui des muses de Folies-Bergère, et pas des Sainte Agnès. Vous avez une patte comparable à celle de Rubens, une puissance capable d’entreprendre les sujets les plus divers et d’y réussir avec une même facilité. Voyons mon petit Houchemagne, si vous nous laissiez un peu les habitants du Paradis pour nous faire de belles tranches de vie, palpitantes, prenantes. Nous sommes des gens du vingtième siècle, après tout ; il nous faut de la réalité !

Houchemagne ne répondait pas. Il était penché, le front dans les mains, et tous les mots d’Addeghem le transperçaient un à un en lui notifiant,