Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/354

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— Vous n’imaginez pas, Houchemagne, quelle assurance, quelle solidité c’est pour un artiste de prendre appui sur le réel, sur le tangible, et quelle fécondité on y puise. On se sent vibrer avec l’Univers.

Nicolas se taisait toujours. À quoi bon batailler pour une œuvre qu’il avait été impuissant à accomplir. Et puis, n’avaient-ils pas raison, ces deux apôtres de l’horizon étroit ? est-ce qu’on n’était pas puni quand on voulait monter trop haut ? Et il regardait avec fixité, sur la muraille opposée, un énorme bœuf de boucherie, symbole brutal du matérialisme artistique de Fontœuvre, et qui s’imposait à lui, qui terrassait sa raison, qui le dominait. Il le savait maintenant ; il allait. renier son œuvre, il allait la trahir comme il avait trahi sa femme, pour tomber dans une peinture qui serait un mensonge à toute sa vie d’artiste. Il y viendrait, comme l’avait dit cruellement le vieux Vaugon-Denis, à ces petits tableautins recherchés des amateurs, conçus à la mesure de la médiocrité de la foule. Il peindrait peut-être des bœufs comme celui-ci, ou le passage d’un omnibus dans une rue populeuse, ou, comme Fontœuvre l’avait un jour rêvé, des boueux au milieu des ordures. Son adultère, après avoir consommé la déchéance de l’homme moral, après avoir conduit l’artiste à l’impuissance, le mènerait encore plus loin, à la mauvaise foi, à la duplicité. Et il se résignait à tout avec une indif-