Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/356

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où il est bon et même nécessaire d’entraîner l’humanité ; et un cri jaillit du tréfonds de son être :

— Alors, d’où suis-je sorti, moi ! et ma pauvre œuvre qui fut incomplète, c’est vrai, et misérable, mais qui était belle, je vous l’affirme, quand je la portais dans mon cerveau ! Et d’où venaient-ils, ceux qu’elle a émus, qui ont pleuré devant mes toiles, non à cause de mon dessin, de ma couleur, ou de ma composition, ou de mon talent, mais parce que je les ôtais à la laideur, à la médiocrité, à la vie. Étaient-ils donc des malades, ou des arriérés ? n’étaient-ils pas au contraire l’humanité vraie, qui comprend que la zone de l’Art dépasse celle de la vie matérielle, qui aime les vieux clochers, les cathédrales, les clairs de lune, l’inutile poésie, la légende ; celle que ne rassasie pas le réel et le tangible, qui s’inquiète, qui cherche, qui veut savoir où vont ses morts, qui veut savoir où elle va, et qui croit que l’infini ne s’exprime pas en termes algébriques ? Il y en a toujours de ces gens-là. Mon œuvre était pour eux ; et si elle est en ruine, c’est que j’y ai failli, moi, par faiblesse ; mais je vous jure qu’elle ira à d’autres, que d’autres la feront à ma place, parce qu’elle était l’Art lui-même.

Il avait des sanglots dans la voix, et les trois hommes qui l’écoutaient, ignorants du drame secret de son cœur et de l’éclipse de son génie, se regardaient sans comprendre cette extraordinaire nervosité de l’artiste. Vaupalier crut l’avoir blessé