Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/36

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architecte. Maintenant, c’était un jeune médecin qui aurait voulu l’épouser, alors qu’elle aimait mieux vivre de son métier. Mais le plus plaisant pour Jenny Fontœuvre, c’était qu’un homme se fût jamais épris de cette affreuse mère Angeloup… Soudain, une goutte tiède tomba sur son poignet ; elle leva les yeux et vit le pâle visage inondé de larmes. Alors elle couvrit sa mère de baisers, lui demandant ce qu’il y avait, quelle peine elle lui avait causée.

— Ma pauvre enfant, dit madame Trousseline, dans quel milieu es-tu venue créer une famille ! Autour de toi les ignominies s’accumulent ; tu n’en as même pas le dégoût. Tu accordes ton amitié sans t’inquiéter d’abord si tu dois ton estime : ou plutôt, une trop facile tolérance te conduit à ne tenir compte ni du bien, ni du mal.

— Ah ! le bien et le mal ! fit la jeune femme agacée, on ne sait jamais où ça commence, où ça finit.

— Si, on le sait, Jenny ; il y a des lois bien précises, et je te les ai apprises autrefois, comme mes parents me les avaient apprises à moi-même. Nous autres, nous marchions sur un terrain ferme où nous sentions que tous nos morts avaient passé avant nous. C’était comme la route qui conduit chez nous à la campagne, et que nous voyons s’allonger si droite, si facile, piétinée, durcie par tous les gens du pays qui cheminent là depuis des siècles. On ne s’égare pas sur ces