Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/372

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pour celle qui se sentait la cause de cette ruine, la douleur nouvelle qui l’étreignait l’eût empêchée d’élever la voix. Mais Jeanne se voyait fortifiée et soutenue par le désir de ces femmes unies avec elle dans le culte du même homme. Elle s’écria :

— Non, il n’est pas à bout de souffle ; non, il n’a pas épuisé les ressources de son génie ; non, ses visions spiritualistes ne sont pas finies. Et tenez, j’aime mieux trahir sa pudeur d’artiste que de vous voir tous perdre votre foi en lui. Eh bien ! son chef-d’œuvre, ce qui surpassera le Centaure et le Triptyque de Saint-François, et la Sainte Agnès, il est à la veille de le produire. Oui, monsieur Addeghem, vous qui n’avez plus confiance, si vous venez un jour à la maison en son absence, je vous ouvrirai la porte de son atelier et je vous montrerai comment il a su peindre le Christ, et vous qui avez critiqué tant de toiles et de gens, mon cher maître, vous resterez les lèvres closes devant cette figure divine. Et vous verrez aussi cette Multiplication des Pains, dans laquelle son Christ doit prendre place, et vous sentirez alors, devant le souffle qui anime cette œuvre géante, que Nicolas est toujours le colosse d’autrefois, que son inspiration s’élargit sans cesse, et qu’en lui c’est l’homme seul que terrasse la fatigue, mais non l’artiste.

— Jamais je n’ai méconnu son génie, balbutia le vieillard que l’exaltation de cette belle jeune femme avait interdit.