Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/39

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petit, ce que la nature fait en grand ; si le procédé éclate, tant pis ; je veux que mes toiles bougent quand on les regarde, je veux que ça remue, que ça frémisse, que ça vive, nom d’un chien ! La beauté de l’œuvre d’art n’est pas dans le contentement bête de qui la contemple, mais dans l’effort créateur de qui l’a mise au monde.

— Nugues a raison, appuya Nelly Darche en assurant son lorgnon, le peintre ne doit pas s’occuper de la satisfaction du spectateur, mais de la seule volupté que lui procure l’arrangement des couleurs. Ainsi, on me reproche la crudité de mes tableaux. Qu’est-ce que cela peut me faire ? Le voisinage d’un chou et d’une orange me transporte ; j’habille une femme d’une draperie aubergine et je lui mets un voile bleu de ciel ; tant mieux si ça hurle, tant mieux si ça fouette l’œil : alors, c’est la joie, c’est la fête.

La vieille Angeloup suffoquait.

— Hein ! Addeghem, vous les entendez ? Ah ! Je me vois encore le prédire à ce pauvre Manet : « Mon ami, vous êtes le Jean-Jacques d’un quatre-vingt-treize de l’Art qui finira dans la folie. » Voyons, Addeghem, pontife, manitou, donnez de la voix, arrêtez ces jeunes gens sur la pente, sauvez l’Art français de la déchéance.

— Que voulez-vous ! dit-il après une hésitation ; que puis-je contre ce courant de modernisme ? Puis, ils sont respectables, ces jeunes ; ils ont des idées, beaucoup d’idées… Au fait, pourquoi l’Art