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Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/390

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Bientôt ses douleurs de tête devinrent intolérables ; ses membres se refroidirent et l’engourdissement monta le long de ses jambes. Il crut le moment venu. Une langueur très douce, mêlée d’oppression, le saisit ; tout se brouilla ; sa tête parut chavirer dans le vide, en arrière, et un divin regard, le regard de Jeanne, plongeait dans ses yeux béants…

Une sensation de piqûre à la jambe lui donna la notion de la vie. C’était la troisième injection de camphre que le médecin lui faisait et qui le sauvait de la syncope. Une sorte de griserie se répandait en lui. Il vit Jeanne lui sourire. Il croyait sortir d’un abîme et que tout recommençait pour lui. Mais les tristes vérités jaillirent bientôt du fond de son âme : sa conscience alourdie par la honte de l’adultère, Marcelle abandonnée pour toujours, l’œuvre manquée, le prochain anéantissement de son corps. Ses yeux, qui commençaient à voir, bougèrent faiblement. À sa gauche, la Multiplication des Pains, toute blanche avec ses traits noirs et la joue marbrée du petit enfant aux cinq pains d’orge, sortit de l’ombre ; puis ce fut au tour du Christ inachevé qui lui faisait vis-à-vis, là-bas. C’était comme s’il l’apercevait pour la première fois. Et son génie, qui s’était exprimé là comme nulle part ailleurs, et qu’il n’avait jamais reconnu, éclata soudain devant lui. La souveraine beauté de cette figure l’éblouit : ce fut comme une fulguration qui