Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/391

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éclairait jusqu’à l’avenir et la série des toiles splendides qu’il aurait pu peindre encore. Alors, un regret déchirant le prit à l’idée de quitter la vie. Quoi ! disparaître, s’en aller en poussière, quand dans son cerveau des mondes vivaient encore !

Il était inerte au creux du matelas, la respiration rude, la prunelle vitreuse. Le médecin le découvrit pour ausculter le cœur ; son thorax apparut amaigri, creusé, haletant. Son aspect lamentable annonçait la fin imminente, mais sous ce front moite, les idées se heurtaient encore, fugitives, affolées, comme une bande de pigeons qui vont déserter leur abri. Si l’amant était mort le premier, l’artiste subsistait toujours en Nicolas, et il s’affirmait avec énergie, avec désespoir. Secrètement il suppliait qu’On lui laissât deux ans de vie, un an de vie, pour parachever son œuvre ! Ah ! que c’eût été bon de peindre encore ! Et les conceptions vagues qu’il avait capricieusement élaborées jusqu’ici, se précisaient. Il voyait un Saint Michel en linéaments de feu, si net, si terrible et si beau, que la tête du malade se soulevait d’enthousiasme sur l’oreiller. Et l’allégorie qu’il rêvait depuis dix ans La Femme et Dieu, sans avoir jamais pu lui attribuer de figures, se fixait enfin en une image parfaite. Dieu ne serait point le vieillard redoutable, symbolisant l’universelle paternité, mais un être aux traits d’homme, dans la plénitude de sa jeunesse, afin de repré-