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Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/57

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couleur, je me trouve si sotte ! L’exécution m’est pénible, je ne suis pas sûre de moi ; j’ai peur des empâtements, j’hésite, je gratte. La journée se passe ; le lendemain, je recommence : et c’est ma vie. Et pourquoi ? pour que, pendant six semaines, dans une salle, le public passe devant ma toile sans seulement y jeter un regard. Après quoi, elle sera accrochée à quelque mur. Voilà à quoi aboutit un tel effort, une telle dépense d’énergie, une telle lutte…

Houchemagne repartit :

— L’émotion qu’une âme élevée reçoit devant une véritable œuvre d’art, est d’une nature telle que l’artiste ne doit rien regretter, — eût-il arraché, en enfantant cette œuvre, des bribes de son cœur, — s’il donne cette émotion à une seule âme.

— Ah ! bien ouiche ! s’écria la petite Fontœuvre, en rentrant ses larmes. Croyez-vous que mes tableaux aient jamais donné une émotion à personne ? Regardez ce portrait.

Il y eut un silence. Houchemagne cherchait l’éclairage, s’écartait un peu. À la vérité, le portrait lui semblait bien banal ; mais il n’aurait pas voulu, pour un empire, chagriner la charmante femme, et il finit par dire :

— Vous avez beaucoup de talent ; mais vous êtes une petite sceptique. Vous ne voulez pas être émue en travaillant. Il faut pleurer de joie quand on peint. Je puis bien vous l’avouer à vous toute seule quand j’ai fait mon Taureau