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à sa guise. Elle s’était composé une admirable bibliothèque, elle lisait les plus beaux livres, elle jouait la plus belle musique. Tout ce dont elle jouissait était choisi, raffiné, exquis, jusqu’à ses robes, ses chapeaux, qu’elle dessinait et confectionnait elle-même, le plus souvent, pour qu’ils fussent vraiment artistiques.

Depuis un instant déjà, Jenny Fontœuvre écoutait à peine. Une idée trop puissante possédait son esprit de peintre. Le sujet de tableau qu’elle cherchait désespérément venait de surgir à son imagination sur une simple phrase de sa cousine. Oui, elle ferait une jeune fille au piano, avec un éclairage brutal qu’elle voyait très bien : le profil, dans l’ombre, donnerait des méplats d’une douceur délicieuse, et les cheveux seraient pareils à un nimbe de lumière. Naturellement, Jeanne lui poserait cela. Et le projet fut bientôt si impérieux, si véhément, que rien ne put la retenir de le confier sur-le-champ à sa cousine. Celle-ci fut enchantée. Alors, il fallut commencer immédiatement. Elles passèrent à l’atelier. Jenny courait, chantait, riait. C’était la folie joyeuse de la conception. Elle allait faire une œuvre charmante. Ce serait inspiré, poétique, rêveur. La bonne madame Dodelaud placerait cela négligemment sur un de ses gros meubles, au magasin, parmi les tabernacles dédorés, les soies éteintes, les saxes amoureux. Ce petit tableau se vendrait comme du pain. Elle se disait ces choses en enfi-