Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/91

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drapé de toile écrue, la frêle et flexible Jeanne. Après le chaud accueil des deux Fontœuvre, sans dire un mot, elle lui tendit une main si glacée, si tremblante, que le sens des caresses amoureuses s’éveilla en lui, tendrement, et qu’il eut envie de couvrir de baisers cette pauvre main défaillante. Qu’il la trouvait belle dans cet émoi ! Qu’il lui savait gré de rester silencieuse !… Et ce cœur neuf de jeune homme, miraculeusement intact, connaissait enfin une puissance plus forte que lui-même, à laquelle il ne résistait pas. Quand il pensait que cette beauté, que cette douceur féminine seraient à lui quand il le voudrait, son sang battait si furieusement le long de ses artères, qu’en l’observant, on aurait pu le voir, parfois, se comprimer les poignets.

À table, on les plaça côte à côte. Elle lui dit :

— Si vous allez jamais en Bretagne, venez à Sibiril. Mon père serait heureux de vous recevoir ; vous y trouveriez une campagne sans grâce, mais profonde, unie, pleine du rêve spirituel, et où il vole des anges invisibles.

Il répondit :

— Je vous promets que j’irai.

Et tout au long du repas, il s’aperçut qu’elle n’avalait que quelques miettes. Plusieurs fois, il se souvint du tableau qu’il préparait et de la figure de sainte Agnès ; alors il étudiait les gestes. de Jeanne. Ensuite, il se trouvait odieux de faire servir égoïstement à son art, comme un modèle